Une théorie unifiée de l’effet de de la puissance d’achat sur les pratiques de ventes liées et de distribution exclusive

Les contrats et rapports de force entre producteurs et distributeurs déterminent la sélection de produits offerts par les distributeurs aux consommateurs et ce faisant agissent directement sur la qualité de leur régime alimentaire.

Contexte et enjeux :

Depuis les années 1950, l’école de Chicago avance que, lorsqu’un producteur multi-produit dispose d’un produit incontournable, il ne peut profitablement utiliser la vente liée pour imposer un autre de ses produits à moindre succès à un distributeur, au détriment d'un autre produit de meilleure qualité sur le marché. La littérature économique a toutefois montré que si le produit de meilleure qualité est détenu par un entrant potentiel, son entrée sur le marché peut être empêchée par le producteur multi-produit via des pratiques de ventes liées (Whinston’s (1990)). Les frictions contractuelles (double-marge, hasard moral) peuvent également expliquer la profitabilité de ces pratiques (De Cornière et Taylor (2022)). Cet article met en évidence un nouveau mécanisme montrant que la présence de pouvoir d’achat de la part des distributeurs facilite la mise en œuvre de ces pratiques anti-concurrentielles.

Résultats :

Dans le modèle proposé, un producteur offre un produit de qualité haute et un autre de qualité faible et fait face à la concurrence effective d’un rival offrant un produit de qualité intermédiaire. Un distributeur ne peut offrir que deux des trois produits aux consommateurs en raison d’une contrainte de capacité. L’assortiment désirable pour l’industrie comme pour les consommateurs est donc la combinaison du produit de qualité haute du producteur multi-produit et celui de qualité intermédiaire de son rival. On suppose que, dans une première étape, les producteurs peuvent verser des primes de référencement au distributeur afin que leur(s) produit(s) soit sélectionné(s). Une fois cette étape de sélection de produit réalisée, les producteurs sélectionnés et le distributeur négocient à la Nash le partage de leur profit. L'article montre que ce jeu en deux étapes offre une micro-fondation du concept de négociation de Nash avec menace de remplacement introduit par Ho et Lee (2019). Les auteurs montrent ensuite que le producteur multi-produit peut profitablement imposer au distributeur une vente liée, excluant ainsi le produit de son rival, lorsque le distributeur est suffisamment puissant.

En effet, lorsque le producteur multi-produit détient tout le pouvoir de négociation, le distributeur ne gagne aucun profit dans la négociation. Cependant, à l’étape de sélection des produits, le producteur multi-produit et son rival se font une concurrence très vive pour être sélectionnés et le producteur multi-produit doit, pour l’emporter et exclure son rival, offrir au distributeur la totalité du profit que ce dernier générerait en vendant le produit du rival. Comme avancé par l'école de Chicago, la vente liée n'est ici pas profitable pour le producteur multi-produit.

À l'inverse, lorsque le distributeur détient tout le pouvoir de négociation, il obtient la totalité du profit lors des négociations avec le producteur multi-produit. Dans ce cas, le producteur multi-produit n’a plus à offrir de prime de référencement pour que le distributeur accepte la vente liée : le profit obtenu par le distributeur via la vente des produits du producteur multi-produit est supérieur au profit qu’il obtiendrait en n’offrant que le produit du rival. La pratique de vente liée devient ici profitable pour le producteur multi-produit, menant à l'exclusion du marché du produit intermédiaire.

Perspectives :

Limiter la puissance d’achat des distributeurs peut permettre aux consommateurs d’accéder à une meilleure qualité de produit.

 

Bibliographie :
Claire Chambolle et Hugo Molina , (2022), A Buyer Power Theory of Exclusive Dealing and Exclusionary Bundling. A paraîre in : American Economic Journal: Microeconomics.